La voie cutanée est une voie royale pour les huiles essentielles (HE).

Il est possible de les appliquer sur la peau de différentes manières :

  • Pures : si le sujet supporte cette forme, et que les HE sont applicables de cette manière (on évitera par exemple la cannelle écorce pure sur le visage, mais elle est supportable sur la plante des pieds).
  • Diluées : dans un excipient qui peut revêtir différentes caractéristiques. Selon la base (crème, baume, onction, ou hydrogel) dans laquelle on choisit de dissoudre les HE, les propriétés thérapeutiques ne s’exprimeront pas de la même manière.

On se propose dans cet article de détailler l’influence du véhicule (hydrogel, baume, onction, crème…) sur la pénétration des huiles essentielles dans la peau.

1. Structure de la peau

La peau est composée de plusieurs couches superposées, qui constituent une barrière efficace avec l’extérieur (mais non étanche : des échanges restent possibles).

Figure 1 : Structure de la peau

L’épiderme

La couche la plus externe est composée de cellules apparemment collées les unes aux autres, qui constituent au niveau histologique un tissu épithélial. Les espaces intercellulaires étant très réduits, aucun vaisseau sanguin ne peut trouver sa place : on dit que l’épiderme n’est pas vascularisé. Il est donc essentiellement nourri grâce au derme, situé immédiatement en dessous de lui, et qui est, quant à lui, vascularisé.

L’épiderme est composé de deux zones distinctes (figure 1) :

  • Une zone superficielle, composée de cellules aplaties, mortes, qui ont perdu leurs noyaux. Ces cellules, les cornéocytes, constituent une zone appelée stratum corneum (SC) ; cette zone instaure une barrière efficace, qui limite les échanges entre l’extérieur et l’intérieur de l’organisme. Les cornéocytes les plus âgés sont éliminés par desquamation, puis progressivement renouvelés. Cette zone présente une nature hautement lipophile, qui interagit facilement avec les HE ou les corps gras.
  • Une zone profonde, composée de cellules vivantes de forme plus ou moins prismatiques, appelées kératinocytes. C’est au niveau de la base de l’épithélium que les cellules se divisent puis migrent vers la surface. Cette zone présente une nature moins lipophile.

Lorsqu’on applique une HV sur la peau, les triacylglycérols (très « gros » et hydrophobes) ne pénètrent souvent pas plus loin que le stratum corneum (3).

Lorsqu’on y regarde de plus près, les cornéocytes ne sont pas tout à fait jointifs (figure 1, encart) : un espace (très réduit) existe entre les cellules. Cet espace est comblé d’une matrice faite de protéine et de lipides, si bien que l’épiderme a une structure qui pourrait s’apparenter à un mur, où les briques correspondraient aux cellules, et le mortier à la matrice protéo-lipidique.

Cette structure est fondamentale pour comprendre le passage des HE à travers l’épiderme, pour rejoindre le derme.

Le derme

Le derme est constitué de cellules non-jointives, appelées fibroblastes, qui produisent des fibres de collagène et d’élastine. Ces dernières sont responsables des propriétés mécaniques de la peau, comme son élasticité qui lui permet de retrouver sa structure d’origine lorsqu’une tension s’interrompt (figure 1).

Le derme est un tissu vascularisé, dont la perfusion varie en fonction de différentes situations : elle tend à augmenter à la chaleur, et à diminuer au froid, par exemple.

2. Passage des HE dans la peau (1)

Lorsque des HE sont appliquées sur la peau, plusieurs voies de passage sont possibles :

  • La voie paracellulaire : les composés hydrophobes qui constituent les HE pourront emprunter la matrice protéo-lipidique, et donc circuler rapidement entre les cellules pour regagner le derme.
  • La voie transcellulaire : il sera également possible pour les composés aromatiques de traverser les membranes cellulaires et donc de passer de cellules en cellules.
  • La voie folliculaire : cette voie ne concerne que les zones pileuses. Les HE vont ruisseler le long des poils, et regagner ainsi directement le derme, où sont situés les vaisseaux sanguins.

Figure 2 : les différentes voies de passage cutanées (D’après 1).

Les deux premières voies sont les plus fréquemment empruntées. La voie folliculaire est utilisée, quant à elle, par exemple lors de l’application d’huiles essentielles sur le sommet du crâne (méthode SAFARI du docteur Penoel).

Pour résumer (figure 3), lorsqu’on applique un produit sur la peau, les actifs qu’il contient doivent passer dans le SC puis diffuser jusqu’à l’épiderme vivant, qu’il faut traverser avant de regagner le derme et ainsi rejoindre la circulation sanguine. A noter qu’une partie du produit s’évapore, et est donc perdu avant même d’avoir pénétré plus en profondeur dans la peau.

Figure 3 : Les différentes étapes de l’absorption cutanée ( d’après 1).

De nombreux facteurs influencent ces différentes étapes, comme la composition des HE (toutes les molécules aromatiques ne diffusent pas de la même manière à travers l’épiderme (2)), le fait d’appliquer une HE pure ou diluée, et si elle est diluée, l’excipient utilisé.

Tisserand (3) estime qu’en moyenne, 10% des composés aromatiques appliqués sur la peau passent effectivement dans le sang.

Nous allons, dans la suite de l’exposé, nous intéresser à ce dernier paramètre.

3. Influence du véhicule utilisé

Une HE peut être appliquée pure sur la peau (si cela convient au sujet, à la zone cutanée considérée, et aux huiles essentielles utilisées), ou diluée dans un véhicule (excipient). Ce dernier peut influencer l’absorption cutanée des HE présentes dans la préparation, et donc conditionner son efficacité.

Les différents types de véhicule

Les véhicules peuvent être classés en fonction de la proportion de phase aqueuse et de phase grasse qu’ils présentent (figure 4).

Figure 4 : Classification des différents véhicules.

  • Le baume ou l’onction ne sont constitués que de corps gras. Le baume présente la particularité d’avoir une consistance plus ou moins solide, conférée par une cire qui peut être d’origine animale (cire d’abeille) ou végétale (acide stéarique, obtenu à partir d’huile de palme, le plus souvent), ajoutée à une base d’huile végétale ou de beurre. Le baume contient également un pourcentage variable d’HE. L’onction est quant à elle composée d’huile végétale additionnée d’HE. Sa consistance est donc liquide.
  • La crème : c’est une émulsion, c’est-à-dire une association d’une phase grasse et d’une phase aqueuse, stabilisées par la présence de tensioactifs. On distingue deux types d’émulsion :
    • Eau dans huile : la phase grasse est la plus abondante. Ces produits constituent des « cold cream », capables d’absorber de grandes quantités d’HE (jusqu’à 20% sans déphasage) ; le cérat de Galien appartient à cette catégorie.
    • Huile dans eau : la phase aqueuse est la plus abondante. Ces crèmes sont plus fluides et moins grasses. Elles offrent souvent un toucher plus sec.
  • L’hydrogel : Ils sont composés uniquement d’une phase aqueuse, dont la texture de gel peut être  obtenue par ajout d’un  produit qui peut être d’origine végétale (gomme xanthane) ou minérale (avec adjonction de carbomere, un produit dérivé du pétrole). Notons que certains gels ont naturellement cette texture, sans nécessiter aucun ajout (gel natif d’aloe vera).

Influence sur l’absorption cutanée

Tout d’abord, il faut noter qu’il est très compliqué d’étudier l’absorption cutanée d’une HE car celle-ci dépend de nombreux paramètres :

  • Les molécules isolées ne se comportent pas de la même manière que lorsqu’elles sont présentes dans l’HE : En effet, il existe pour l’absorption cutanée comme dans de nombreux autres domaines, un effet synergique qui traduit le fait que les interactions entre les molécules modifient leur faculté à diffuser d’une couche à une autre.
  • Les différentes molécules ne pénètrent pas de la même manière dans la peau : les cinétiques d’absorption sont différentes d’une molécule à l’autre.
  • Le type de gras utilisé dans les véhicules influence la pénétration des HE : la plupart des études qui abordent la pénétration d’HE présentes dans des émulsions utilisent du gras d’origine minérale (dérivé du pétrole) ; or cette graisse présente un effet filmogène, c’est-à-dire qu’elle reste en surface sans pénétrer en profondeur dans la peau. Obtiendrait-on les mêmes résultats avec des huiles végétales, comme l’huile de jojoba, connue pour sa faculté à atteindre la base de l’épiderme ? la question est posée sans être, pour le moment, définitivement tranchée.

Ces limites étant posées, voyons quels résultats ont été obtenus par les études expérimentales, et de quelle façon on peut transposer les résultats au niveau de la pratique de l’aromathérapie.

Les HE appliquées pures sur la peau, du fait de leur forte hydrophobicité, vont diffuser rapidement (3) et atteindre la base de l’épiderme ou du derme en quelques dizaines de minutes (durée variable en fonction de la molécule étudiée et de la présence éventuelle d’autres molécules).

En savoir plus sur les voies d’administration : https://laboratoiredumani.fr/comment-les-huiles-essentielles-agissent-elles-sur-notre-corps/.

Krysztof Cal a étudié in vitro en 2006 (2,4) la pénétration à travers l’épiderme et l’élimination de différentes molécules présentes dans certaines HE (linalol etacétate de linalyle,présents dans L’HE de lavande vraie, terpinen-4-ol présent dans l’HE d’arbre à thé, citronellol contenu dans l’HE de Geranium rosatou alpha-pinène des HEde conifères) diluées dans différents véhicules.


Il ressort de ces études que, bien que les absorptions soient très variables d’une molécule à une autre, la vitesse de diffusion des HE se répartit de la manière suivante :

  • Pénétration la plus rapide et la plus importante : Hydrogel (avec carbomere)
  • Pénétration plus lente : Onction ou baume
  • Pénétration faible : Emulsion de type « huile (minérale) dans l’eau »

Ces résultats ont été confirmés in vivo, chez l’homme (5).

Proposition de critères pour le choix de l’excipient

Ainsi il est possible, grâce à ces connaissances d’adapter le type de véhicule à l’effet recherché (figure 5) : si on souhaite avoir une diffusion maximale et rapide, un hydrogel sera indiqué (pour un effet immédiat sur une douleur articulaire ou musculaire aigüe). En revanche, pour une action plus prolongée (douleur articulaire chronique, par exemple), un baume ou une onction seront préférables. Enfin, si on souhaite favoriser un séjour des HE en surface (pour une mycose cutanée par exemple), une émulsion sera un très bon support pour les HE.

Le baume ou l’onction présentent donc l’avantage de ralentir la pénétration des HE (par rapport à une application pure), ce qui tend à prolonger leur efficacité.

Baume ou onction ?

Dans les deux cas, le véhicule est exclusivement un corps gras. Mais le baume présente l’avantage de limiter l’évaporation des HE en raison de sa texture plus épaisse (qui oblige à masser davantage la zone concernée, jusqu’à pénétration complète du produit). Pour cette raison, une concentration plus faible d’HE sera efficace.

Pour résumer, il est possible de proposer un arbre de décision, qui aidera dans le choix de l’excipient correct en fonction de l’effet recherché.

Figure 5 : Arbre décisionnel pour le choix de l’excipient adapté.

En conclusion, cette étude insiste sur l’importance du choix de l’excipient lors d’une application topique.  Selon la forme galénique (pure, dans un gel, un baume, une onction ou une crème), les HE n’agiront pas de la même manière. Et cela peut conditionner l’efficacité de la préparation. Contrairement ce que notre intuition nous indique souvent, on peut gagner en efficacité en diluant le produit actif !

Arnaud GEA pour le Laboratoire Dumani, 16/04/19

Références :

  1. Lane, M. E.(2013). Skin penetration enhancers. International journal of pharmaceutics, 447(1-2), 12-21.
  2. Cal, K.(2006). Skin penetration of terpenes from essential oils and topical vehicles. Planta medica72(04), 311-316. (https://www.thieme-connect.com/products/ejournals/html/10.1055/s-2005-916230#N70053)
  3. Tisserand, R., & Young, R. Essential Oil Safety-E-Book: A Guide for Health Care Professionals. New-York : Elsevier Health Sciences, 2013.
  4. Cal, K. (2006). How does the type of vehicle influence the in vitro skin absorption and elimination kinetics of terpenes?. Archives of dermatological research297(7), 311-315.
  5. Cal, K., & Krzyzaniak, M.(2006). Stratum corneum absorption and retention of linalool and terpinen-4-ol applied as gel or oily solution in humans. Journal of dermatological science42(3), 265-267.
  6. https://arnaudgea.fr/produit/physiologie-et-huiles-essentielles/
Influence de la forme galénique sur la pénétration cutanée des huiles essentielles

14 avis sur « Influence de la forme galénique sur la pénétration cutanée des huiles essentielles »

  • 17/04/2019 à 05:33
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    merci pour l’exploitation vraiment simplement et très détaillée

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    • 17/04/2019 à 07:23
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      Merci pour l’encouragement ! 😉

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  • 06/01/2020 à 13:06
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    Explication des processus de pénétration des HE qui éclaircit le brouillard (huileux!) de leur utilisation.
    Merci encore!

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    • 06/01/2020 à 13:08
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      Merci pour votre retour !

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    • 22/06/2020 à 16:10
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      Merci pour votre commentaire Laurence ! ça motive à continuer à écrire des articles !

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  • 05/02/2021 à 23:09
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    Bonjour et bravo pour ce blog, et merci pour ce topo très complet ! quand sur l’arbre décisionnel vous indiquez : « pénétration cutanée faible reste en surface « , donc dans le cas de l’utilisation d’une émulsion, cela se limite au SC ou l’HE pénètre malgré tout jusqu’ aux autres stratums de l’épiderme? j’aimerai composé une préparation verrucide, et comme la verrue se développe aussi dans le stratum basale et spinosum de l’épiderme, je compte aussi sur une action sur l’ensemble des stratums de l’épiderme avec peu de pénétration dans le derme et une optimisation sur l’épiderme. Merci bcp de votre retour à ce sujet !

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    • 12/02/2021 à 15:33
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      Bonjour Stéphanie, la question est délicate car il existe peu d’études qui établissent précisément le degré de pénétration du produit dans les couches cutanées.
      La verrue est encore une situation différente, car elle se caractérise par une augmentation de la production de kératine. Il faut donc choisir une galénique permettant une action « kératolytique » des actifs. C’est pourquoi sur une verrue, je préconise des HE pures, à appliquer de façon très localisée.
      Bien aromatiquement,

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  • 18/10/2022 à 07:10
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    Excellent article clair, précis, permettant une application immédiate des connaissances acquises. (Tout en gardant à l’esprit leurs limites et la nécessité parfois de les compléter.. ).
    Merci

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  • 26/11/2022 à 15:35
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    Bonjour
    Merci pour cet article, et pour votre livre qui est une référence et qui est toujours ouvert à coté de mon bureau

    Mes questions sont :
    Comment conseillez-vous de réaliser un hydrogel ?
    Même question pour réaliser soi même une émulsion?
    (Je dis soi-même car ce qu’on trouve dans le commerce est souvent rempli de produits de synthèse issus de la pétrochimie, et si j’utilise des HE et des HV ou encore si je fais des baumes moi-mm, c’est pour éviter toute cette chimie-là)
    Par ailleurs, du fait de la non-miscibilité des HE dans ce qui est aqueux, cela limite forcément la quantité d’HE à y ajouter. De mémoire, il me semblait qu’on ne pouvait pas réussir à diluer une HE à plus de quelques petits pourcents dans l’aloe vera par exemple, et que si on fait un spray HE /eau comme le préconise le Docteur Pénoël dans certains cas, c’est avec obligation de secouer +++avant chaque utilisation.

    Bref, concrétement, on fait comment. Car l’avantage de l’onction dans l’HV ou encore de l’utilisation des HE pures, c’est tout de même la grande simplicité. Et dans l’urgence, c’est essentiel

    Merci
    Pascale RENAUD

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    • 28/11/2022 à 08:26
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      Bonjour Pascale, merci pour votre commentaire.
      Je prévois de faire très bientôt une masterclass complète sur le sujet. Vous pouvez consulter mon site internet : http://www.arnaudgea.fr
      Bien à vous

      Répondre

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